Témoignage d’une interprète
Je suis interprète en langues serbe, croate et bosniaque, je représente Migrations Santé Alsace depuis cinq ans
Tatyana Tran
(Assemblée générale de Migrations Santé Alsace – juin 2023)
J’aime ce travail car c’est très intéressant et enrichissant sur le plan linguistique, culturel, relationnel et émotionnel. Je rencontre beaucoup de personnes et je découvre différents métiers. En faisant de l’interprétariat dans le milieu médico-social aucun rendez-vous ne se ressemble. Chaque situation est unique. Pour pouvoir faire ce métier il faut être capable de constamment s’adapter.
Notre travail commence dès la réception de la proposition du rendez-vous soigneusement préparée par nos secrétaires. Nous prenons connaissance du nom de l’organisme demandeur, de l’adresse, de la date, de la durée et le plus souvent du nom du professionnel. Nous ne connaissons pas le nom de l’usager (sauf en cas d’un suivi) ni la raison du rendez-vous.
Le travail de l’interprète c’est aussi la préparation en amont :
- La recherche concernant le lieu de travail (hôpital, Conseil Départemental, association, école, domicile…),
- L’organisation du trajet (combien de temps pour arriver à l’heure, quel moyen de transport),
- La préparation du glossaire si nécessaire.
A l’arrivée dans l’organisme on découvre les lieux, le fonctionnement : s’adresser à l’accueil, au secrétariat, trouver le bon service, la salle d’attente (avoir un bon livre dans son sac !). Quand on partage la salle d’attente avec l’usager, lui expliquer que la consultation commence dans le bureau du professionnel. Je fais en sorte de ne pas laisser l’usager aborder des sujets personnels (plus difficile dans une salle d’attente en psychiatrie).
En entrant dans le bureau pour moi vient l’étape crucial pour le bon déroulement du rendez-vous : se présenter en posant le cadre déontologique au professionnel et à l’usager qui s’avère rassurant pour les deux parties. Faire savoir que nous sommes des interprètes professionnels, que nous travaillons pour Migrations Santé Alsace et que nous nous engageons à respecter :
- La fidélité de la traduction,
- La neutralité et l’impartialité,
- La distanciation,
- L’autonomie de l’usager,
- Le secret professionnel.
Pendant le rendez-vous il faut être concentré et attentif à chaque instant car tout ce qui est dit à haute voix doit être transmis. Rien ne doit être oublié. Rester neutre, ne pas donner son avis et toujours faire preuve de distanciation surtout dans des situations qui pourraient faire écho à une situation personnelle. Laisser l’autonomie à l’usager, ne pas répondre à sa place, même si le professionnel nous le demande sous prétexte d’appartenance à la même culture. Je crois que chaque individu est unique, nous sommes là pour transmettre la parole de l’usager et de ce fait les traits et les comportements de la personne en question. Bien faire savoir à l’usager qu’on garde le secret professionnel est très rassurant pour la personne. A la fin du rdv vient mon petit bonheur personnel : les remerciements des deux côtés.
Tout à l’heure j’ai mentionné la distanciation : comme c’est un travail riche en émotions c’est important de pouvoir en parler à quelqu’un. Pour cela nous avons la possibilité de partager notre vécu en GAP (groupe d’analyse de la pratique) encadré par la psychologue, une fois par mois. C’est un moment de partage entre collègues interprètes avec l’aide précieuse de la psychologue qui veille à la bonne prise de paroles.
Nous sommes aussi régulièrement invités à suivre des formations qui abordent de nombreux thèmes (la première était le tutorat, techniques de l’interprétariat, l’interprétariat au téléphone, violences faites aux femmes, la place de l’interprète dans les consultations de psychiatrie et plein d’autres). Ces formations nous permettent d’apprendre davantage.
Pour toutes les questions administratives et les questions concernant des situations difficiles nous pouvons compter sur la disponibilité de l’équipe de la direction.
Je vais maintenant revenir sur, à mes yeux, l’importance du cadre déontologique en vous donnant un exemple :
Pendant longtemps j’assurais le suivi d’une famille pour un placement d’enfants. Ces rendez-vous étaient difficiles car les parents ne comprenaient pas pourquoi ces mesures étaient ordonnées. Ils étaient dans le déni. Les rendez-vous pouvaient être conflictuels, le ton montait rapidement mais grâce à nos principes déontologiques, le couple a compris que tout était traduit, que je suis restée neutre et que je gardais le secret professionnel. Malgré les invitations à partager une collation ou un café pour faire « comme au pays », j’ai toujours trouvé des mots justes pour décliner les invitations. Ils ont compris que j’étais là pour effectuer mon travail et finalement ils étaient contents de pouvoir compter sur mon professionnalisme et ma neutralité. Le couple me faisait confiance.
Le métier d’interprète en milieu médico-social me procure épanouissement, accroit ma curiosité, permet la découverte et l’apprentissage permanent. Je suis très heureuse de pouvoir exercer ma profession au sein de notre association Migrations Santé Alsace. Merci de me faire confiance.