Personnes âgées

Le vieillissement des personnes âgées immigrées

une problématique plurielle…

Les personnes immigrées âgées sont souvent fragilisées par de multiples difficultés telles que :

  • la précarité économique (difficultés d’accès aux droits à la retraite, retraite ou pension de réversion faible et envoi d’une partie des revenus au pays),
  • des conditions de résidence souvent difficiles (habitat social ou foyer),
  • des difficultés de santé et d’accès aux soins : faible taux de mutualisation, pathologies plus précoces par rapport à la moyenne nationale, taux d’accidents du travail plus élevé,
  • des difficultés d’accès aux droits (complexité administrative, patronymes inconnus, droit au séjour…),
  • la méconnaissance des services d’aide à domicile (portage des repas, aides ménagères, statut d’aidants familiaux…),
  • une socialisation circonscrite,
  • le manque de reconnaissance de la condition d’ « immigré retraité »,
  • les problématiques « classiques » du vieillissement : perte d’autonomie, problématiques de santé, isolement…

A ces difficultés s’ajoutent les questionnements liés au bilan de la migration et d’une vie en exil. Alors que l’idée d’un retour au pays au moment de la retraite a pu être présente tout au long de leur vie active, les migrants sont confrontés au moment de la vieillesse à une autre réalité : de multiples raisons les maintiennent en France (les enfants et petits enfants, la santé, l’absence de proches et la solitude au pays…) et le deuil du retour qui est à faire peut être particulièrement douloureux. Nombreuses sont les personnes immigrées qui réalisent des « allers-retours » régulier avec le pays d’origine, ce qui n’est pas sans poser des difficultés de maintien de droits, de soins…

De façon plus large, être « immigré retraité » n’est-il pas vécu comme un paradoxe par ces personnes venues dans le cadre d’une immigration de travail ? Comment passe t-on du statut de travailleur avec sa connotation légitime au statut de retraité et l’illégitimité morale à rester en France qu’elle peut entraîner ? « Comment peut-on penser l’immigré inactif, l’immigré vacant ? » demande Abdelmalek Sayad. Ainsi posée, cette question peut aussi se prolonger sur la notion de « loisir » – telle qu’elle est communément entendue de nos jours dans les sociétés de consommations comme la nôtre – sur l’occupation de ce nouveau « temps libre », alors que le mot « loisir » se dit en arabe et en turc « le temps vain, vide, futile, perdu …».

Ces constats ne doivent pas faire oublier la diversité des situations selon les origines et les trajectoires de vie. Si la représentation commune renvoie à un homme seul, originaire du Maghreb ou de Turquie, arrivé dans les années 1960 ou 1970 pour travailler et logeant en foyer de travailleurs immigrés, d’autres problématiques sont en train d’émerger : le vieillissement de femmes immigrées, les difficultés des aidants familiaux issus de l’immigration, les primo-arrivants âgés, etc.

Dans tous les cas, les personnes âgées immigrées ont des parcours faits de ruptures ; les paradoxes auxquels leur vieillissement les confronte appellent à rendre mieux visible ces publics et à adapter les dispositifs pour que soient pris en compte leurs besoins.

… mais qui reste méconnue

La question du vieillissement des populations migrantes est une réalité qui apparaît dans le débat public depuis seulement une quinzaine d’années. Plusieurs instances, associations, institutions commencent à lui porter une attention particulière en questionnant la place qui leur est accordée dans la société d’accueil et les modalités effectives de leur prise en charge.

Ainsi, en 2012, un rapport parlementaire consacré aux personnes immigrées âgées est considéré comme « le point de départ d’une prise de conscience » :

Cette prise de conscience passait d’abord par la nécessité de rendre visibles ceux qui paraissaient invisibles, d’écouter celles et ceux qui ont tant contribué à l’histoire économique et sociale de notre pays et auxquels on n’a pas assez donné la parole et qui, dans leur digne réserve, ne sont pas prompts à s’en emparer. (JACQUAT D., BACHELAY A., Rapport d’information au nom de la mission d’information sur les immigrés âgés, p10)

Ce rapport fait état de 82 propositions dont plusieurs concernent l’accès effectif aux droits et aux soins. Il invite notamment à développer l’interprétariat et la traduction pour lever la barrière linguistique.

En Alsace, en 2013, environ 30% des immigrés sont âgés de 55 ans et plus, ce qui représente plus de 60 000 personnes (chiffres INSEE). La problématique du vieillissement et de la perte d’autonomie des personnes immigrées se pose déjà et va continuer à se poser avec une plus grande acuité dans les années à venir.

La ville de Strasbourg s’est également saisie de cette question à travers la mise en place d’un groupe de travail du Conseil des Résidents Etrangers sur les personnes âgées immigrées.

les acteurs institutionnels et associatifs face à ce nouvel enjeu

Malgré leur nombre de plus en plus important, les personnes âgées immigrées restent largement absentes des espaces de droit commun (Maison des aînés ou CLIC, dispositifs en direction des personnes âgées de la CARSAT, CPAM, secteur « seniors » des centres socio-culturels…). D’une part, les acteurs institutionnels qui ont eux les compétences, les moyens et les attributions nécessaires pour travailler avec les personnes âgées migrantes ne connaissent souvent bien insuffisamment les spécificités de ce public. D’autre part, les acteurs associatifs référés à l’immigration s’investissent fortement dans les problématiques d’intégration des publics « enfants », « jeunes » et « femmes » qu’ils perçoivent comme opérant et « porteur d’avenir ». Rares sont ceux qui ont clairement définis des priorités de travail en direction du public « senior ». Ils ne semblent pas avoir les « moyens » et les « compétences » d’intégrer cette problématique dans leurs préoccupations professionnelles.

Partant de ces constats,  Migrations Santé Alsace entreprend une démarche territorialisée auprès des différentes institutions et associations. L’association émet l’hypothèse que ce manque de visibilité des personnes âgées immigrées dénote un accès insuffisant à l’information ainsi qu’une éventuelle inadaptation des services proposés. En l’occurrence, la moindre utilisation par les migrants âgés des dispositifs relevant du droit commun et de l’accompagnement des seniors, leur faible fréquentation des structures gérontologiques, gériatriques ou de quartiers ne signifient pas l’« absence de besoins ».

L’action de Migrations Santé Alsace

Comme pour chacune de ses actions, l’association porte une attention particulière au rapprochement des personnes du droit commun ; celui-ci est d’autant plus concerné que, du point de vue de l’association, « la non-demande » des publics est à entendre comme l’impossibilité de formuler une quelconque demande. Outre les freins que la « légitimité à être là » soulève, les difficultés majeures des migrants âgés relèvent de la méconnaissance des structures qui peuvent les orienter, des problèmes de compréhension linguistique, de l’absence de références antérieures sur les questions du vieillissement et de l’ignorance des dispositifs, et enfin du repli et de la solitude extrême pour un certain nombre d’entre eux.

la sensibilisation des institutions et des associations

Migrations Santé Alsace rencontre régulièrement des représentants institutionnels, des professionnels et des bénévoles d’association pour les sensibiliser aux problématiques des personnes âgées immigrées :

  • invisibilité des publics et non recours aux droits et aux soins
  • problématiques de santé multiples
  • déterminants de la santé : précarité, conditions de vie et de logement, etc.
  • barrière linguistique

Ces temps de travail permettent d’interroger les stratégies d’accueil et de prise en charge de ces publics, et, en fonction des opportunités, de construire des partenaires. Ainsi, depuis quelques années, Migrations Santé Alsace propose des actions auprès de personnes âgées immigrées avec la CARSAT et la CPAM du Bas-Rhin.

Migrations Santé Alsace porte également cette problématique dans des réseaux, des temps de formation ou d’échanges entre professionnels.

Télécharger l’intervention de Migrations Santé Alsace sur les enjeux de la barrière linguistique pour l’accès aux droits des personnes âgées immigrées, réalisée dans le cadre du séminaire organisé par Calima « femmes immigrées et vieillissement : une équation à double inconnue » (Octobre 2015).

les séances d’information et d’accès aux droits

Parallèlement à la sensibilisation des institutions et associations, Migrations Santé Alsace a organisé, jusqu’en 2017, des séances d’information et d’accès aux droits sur différentes problématiques affectant les personnes âgées immigrées : accès à la retraite, au minimum vieillesse et à la pension de réversion ; accès et maintien des droits à la santé ; connaissance de différentes problématiques de santé (diabète, prévention des cancers), etc.

Ces actions ont été organisées en partenariat des associations de quartier accueillant les publics pour être au plus proche des lieux de vie et des enjeux du quotidien. Des interprètes de l’association étaient présents pour lever la barrière linguistique et assurer la pleine compréhension des échanges.

Responsable et contact pour le secteur

Hatice Küp, chargée de mission