Migrations Santé Alsace est signataire.

Plaidoyer pour un accès à la santé des personnes exilées

Lors de la rencontre « Parcours santé des migrants » au Ministère des Solidarités et de la Santé le 28 novembre 2017, le Directeur général de la santé a rappelé que « La santé est un droit pour tous ».

Nous, associations qui accompagnons des personnes étrangères et exilées, nous pensons que chacun doit pouvoir accéder aux soins, de façon inconditionnelle, sans suspicion constante de fraude. Nos missions associatives nous obligent à agir envers celles et ceux qui arrivent, quel que soit leur statut administratif, et qui nous sollicitent pour un accès aux soins, une aide, un hébergement et un accompagnement sur les difficultés qu’ils rencontrent au quotidien.

Ces personnes ont pour la plupart subies un parcours d’exil traumatisant et arrivent dans des situations sanitaires et psychiques souvent catastrophiques, qui nécessitent une mobilisation rapide et coordonnée des acteurs de la santé et des acteurs de lutte contre les exclusions pour leur assurer le soutien dont ils ont besoin. Dans un contexte d’extrême tension sur la santé des personnes en situation de précarité, pour lequel
il devient urgent de faire des choix politiques ambitieux dans une perspective de santé publique plutôt que de gestion de flux migratoires, il nous paraît primordial que la politique de santé des étrangers relève d’une
compétence du ministère de la santé et non de l’intérieur.

Nous formulons aujourd’hui différentes propositions1 pour endiguer la détérioration de l’accès aux soins des plus précaires, notamment des personnes exilées :

 

1- Faciliter l’accès aux droits

Le véritable parcours du combattant que constituent les démarches d’ouverture des droits pour accéder à une couverture maladie pour des personnes en situation de précarité est renforcée à l’égard d’un public
étranger qui ne maitrise parfois ni la langue, ni les codes, et ne connaît pas l’organisation du dispositif de soins en France. Le non recours aux droits (en 2016, encore un tiers de personnes éligibles à la couverture
maladie universelle complémentaire [CMU-C] n’y recourent pas selon le Fonds CMU-C) impose que soient pensées des solutions de simplification et d’automaticité d’attributions des prestations sociales, entre elles,
pour bénéficier au plus grand nombre de personnes menacées de renoncer aux soins.

Ces personnes qui arrivent en France sont bien souvent à la rue, parfois avec un traitement, et ont des difficultés à fournir toutes les pièces justificatives demandées. Elles peuvent également être victimes de la variabilité des informations données d’une caisse de sécurité sociale à l’autre, de la méconnaissance des recours à engager face à leur besoin d’accès immédiat aux soins et de la déshumanisation des services d’accès à la couverture maladie censés les accueillir.

Avec la réforme Protection universelle maladie (PUMa), nombre d’entre elles éligibles à l’Assurance maladie sont renvoyées vers l’Aide médicale d’Etat (AME), voir même à aucun accès aux soins, ce qui implique un
fonctionnement coûteux pour nos institutions en raison de deux systèmes concomitants et distincts, et une complexité administrative difficile à surmonter lorsque l’on ne maîtrise pas tous les rouages de l’administration.

 

Nos propositions :

  • Fusionner l’AME et la PUMa pour assurer l’accès des étrangers en situation irrégulière aux soins et économiser les coûts de gestion de deux dispositifs distincts. Assurer de plus aux personnes qui bénéficieront
    de la PUMa un accès à la CMU-C.
  • Assurer un pilotage par la Caisse nationale d’assurance maladie (CNAM) des pratiques des Caisses primaires d’assurance maladie (CPAM) afin de faire respecter les textes en vigueur et mutualiser les
    bonnes pratiques. Cela passera notamment par la publication des instructions de la CNAM dans lesquelles figurent des droits opposables aux administrés.
  • Nommer un référent par CPAM pour traiter des demandes de couverture santé qui posent problème notamment lors de la réunion de la cellule familiale pour les affiliations, pour les mutations de dossiers
    très longs occasionnant ruptures de droits, pour les problèmes de remboursement des soins chez les dentistes, spécialistes etc. avec un travail transversal avec les Caisses d’allocations familiales (CAF).
  • Préserver l’accueil physique des personnes en guichets afin de leur fournir l’information nécessaire à
    leur accès / renouvellement des droits, en complément des services en ligne.
  • Garantir un accès à l’hébergement à tous, y compris aux personnes vieillissantes, et refuser le tri des publics notamment en fonction de critères de vulnérabilité qui ne permettent qu’à un certain nombre
    d’être pris en charge.

 

2- Favoriser l’accès aux soins

 

Les entraves dans l’accès aux droits à la couverture maladie, l’éloignement des équipements de santé (déserts médicaux), les refus de soins des professionnels de santé, impliquent des retards dans le recours aux
soins qui ont un coût pour la société et des conséquences désastreuses pour les personnes.

Aujourd’hui, le droit commun, autant en psychiatrie (Centre médico-psychologique [CMP]/Centre médicopsychologie pédagogique [CMPP]) que pour les soins somatiques (hôpitaux, médecine de ville etc.), n’accueille
plus automatiquement le public, d’autant plus quand les personnes n’ont pas encore leurs droits ouverts et qu’elles ne maitrisent pas la langue. Cela occasionne retards, refus et renoncements aux soins, (notamment pour les maladies chroniques) en laissant une part non négligeable des personnes en dehors du système de santé, ce qui renforce leur situation de danger, et particulièrement quand elles ont vécu un parcours d’exil traumatisant.

Les Permanences d’accès aux soins de santé (PASS), les Equipes mobiles psychiatrie précarité (EMPP) ou des consultations spécialisées au sein des hôpitaux tentent de faciliter l’accès au droit commun et de rattacher
les personnes à ce dernier mais leurs moyens sont aujourd’hui insuffisants, tout comme le pilotage par les Agences régionales de santé (ARS) des crédits qui leur sont affectés. De son côté, le secteur associatif
répond comme il le peut à la demande d’accompagnement spécialisé de ces exilés, notamment sur le volet santé mentale et maladies chroniques, en fonction d’un soutien très inégal d’une ARS à l’autre et d’un département à l’autre. Certaines associations par exemple accompagnent les professionnels de santé qui se trouvent souvent démunis face à des situations qu’ils n’ont pas l’habitude de côtoyer dans leur pratique.
Malgré le grand intérêt qu’elles offrent sur le territoire, leurs financements restent très précaires. Elles sont souvent débordées par le nombre de sollicitations des personnes et des partenaires, les obligeant à refuser les demandes en orientant vers un droit commun saturé qu’elles n’ont pas les moyens ni de former ni d’accompagner.

De plus, la situation d’exil impacte la cellule familiale à travers notamment la modification des transmissions des valeurs pour des familles tiraillées entre leur pays d’origine et le pays d’adoption. Ces personnes arrivent
avec une accumulation de pertes : perte de la terre natale (perte sensorielle), perte de repères, perte de la langue, de l’activité professionnelle (et donc d’une place dans la société), perte des liens familiaux (les
parents et la famille élargie restent souvent au pays). Ces pertes nourrissent le sentiment de défaillance parentale ; des mères arrivent fragmentées et n’ont plus les ressources nécessaires pour protéger leur enfant,
leur transmettre des valeurs et leur offrir un cadre sécurisant.

 

Nos propositions :

  • Pérenniser et renforcer, notamment financièrement, les centres et réseaux spécialisés qui existent déjà sur certains territoires.
  • Créer dans les territoires non pourvus des centres ressources d’appui et d’expertise spécialisés sur l’accompagnement santé des exilés, notamment en santé mentale. En s’appuyant et s’articulant avec les projets existants et qui ont fait leurs preuves sur d’autres territoires, les missions de ces centres s’articuleraient autour de la formation des professionnels (notamment de santé) et d’animation/articulation d’un réseau territorial en lien avec les exilés (associations/ARS/Direction Régionale et Interdépartementale de l’Hébergement et du Logement [DRIHL]/ directions régionales de la jeunesse, des sports et de la cohésion sociale [DRJSCS]/CPAM/PASS/EMPP/Préfecture/Education nationale…). Ils permettraient également, à côté des acteurs de droit commun, de proposer des consultations, notamment en
    santé mentale, auprès du public exilé. Ces centres de ressources seraient également un appui aux associations sur l’identification des acteurs du territoire (ex : Psycom en Ile de France) et la mise en place des
    campagnes de dépistages en santé publique au sein des lieux d’hébergement.
  • Pour assurer la reconnaissance et le financement de ces centres ressources, il est nécessaire d’intégrer dans les PRAPS la question de l’offre de soins à l’égard du public migrants qui doit être prise en
    compte de manière égalitaire sur l’ensemble des territoires de chaque région. Cela pourrait passer par exemple par le développement d’appels à projets financés par l’ARS sur les territoires pour un accompagnement
    des professionnels et des migrants (ex : Réseau Louis Guilloux en Bretagne). Ces appels à projets devraient prioritairement permettre de développer ou de renforcer les programmes existants sur la prise en charge de la santé mentale du public migrant, spécialisés sur les traumatismes liés à l’exil et au psycho-traumatisme en lien avec les violences vues ou subies (avec un budget d’interprétariat et de médiation en santé dédiés). Au-delà de l’intégration dans les PRAPS et pour garantir une égalité d’accès sur le territoire, la Direction Générale de la Santé (DGS) doit pouvoir s’engager directement dans le financement de ces centres ressources.
  • Introduire la proposition d’une visite médicale pour les étrangers en situation de vulnérabilité (demandeurs d’asile ou non) dès leur arrivée sur le territoire (où les soins somatiques et psychiques seraient disponibles). Ce bilan de santé proposé par la CPAM devrait être adapté pour les personnes allophones (traduction du questionnaire en plusieurs langues, accès à l’interprétariat, etc.). Pour accompagner cette proposition, il faudrait renforcer le stade du pré-accueil grâce à la production de livrets d’information traduits en plusieurs langues et délivrés en Plateforme d’accueil des demandeurs d’asile [PADA] (droits, parcours et dispositifs de soins en France) ainsi que dans tout autre dispositif de premier accueil.

 

  • Concernant les PASS et les EMPP :
    • Assurer une meilleure couverture territoriale des équipes mobiles psychiatrie précarité (notamment en pédopsychiatrie) et des Permanences d’accès aux soins de santé (notamment des PASS spécialisées
      comme les PASS dentaires, psychiatriques, ophtalmologiques ou pédiatrique).
    • Améliorer le contrôle et le pilotage de l’activité des EMPP et des PASS par les ARS pour s’assurer du respect des circulaires qui les concernent et leur permettre d’atteindre les objectifs d’aller vers les personnes les plus exclues et de faire lien avec les équipes sociales.
    • Renforcer l’observation des dysfonctionnements dans l’accès aux soins (déserts médicaux, refus de soins) en lien notamment avec les commissions d’évaluation des pratiques de refus de soins et les autorités
      sanitaires.

 

  • Sur la santé des enfants et de la famille :
    • Favoriser le développement de consultations psychologiques familiales dans les institutions spécialisées dans l’exil.
    • Permettre un meilleur accompagnement en centre médicaux psychologiques infanto-juvéniles avec des budgets pour l’interprétariat.
    • Impulser une coordination avec l’éducation nationale et les psychologues scolaires dans le soutien à l’enfant pendant sa scolarité.

 

3- Former les professionnels de santé à l’accompagnement des publics étrangers

 

Certains professionnels de santé se sentent démunis face à des personnes présentant des pathologies différentes que celles qu’ils ont l’habitude de traiter en consultation. Ce dénuement est renforcé par les conditions
de précarité vécues par ces personnes ainsi que la barrière de la langue liée à l’absence d’interprétariat suffisant pour assurer une relation de confiance. Or, avec des moyens d’interprétariat dédiés ainsi que des
formations, notamment sur la posture du soignant dans un contexte interculturel, les professionnels du droit commun pourraient accompagner ces personnes sans les renvoyer systématiquement vers les acteurs associatifs spécialisés. Il est nécessaire pour cela de travailler sur les pratiques de soins et de questionnements de santé publique en réinterrogeant le paradigme de l’urgence. Les différences de culture interviennent bien moins dans les difficultés de soins et de prévention, que celles de représentations de part et d’autre entre soignants et soignés.

De plus, le cloisonnement entre les secteurs sociaux, médico-sociaux et sanitaires persiste. Il est nécessaire de travailler à l’identification des différents professionnels sur les territoires, à leur rencontre et à la transformation de leurs pratiques et l’évolution de leurs représentations, qui passera notamment par l’évolution des formations (initiale et continue) des acteurs de la santé et du social, afin de leur permettre de développer une culture professionnelle commune.

 

Nos propositions :

  • Intégrer dans les modules de formation initiale et continue des formations sociales et médicales un module spécifique sur l’interculturalité et le soin. Ce dernier intégrerait notamment une partie spécifique sur les pratiques de soins et l’appréhension clinique de l’accompagnement des personnes exilées (exemple : l’accompagnement au récit), les droits des personnes migrantes et les dispositifs qui les accueillent, l’organisation de l’intervention médico-sociale, la lutte contre le non recours et le refus de soins.
  • Institutionnaliser les formations croisées à l’image de ce qui est déjà mis en place sur certains territoires en santé mentale (modules de formation avec constitution d’un binôme professionnel du secteur
    de l’hébergement / professionnel du secteur de la psychiatrie).

 

4- Développer les moyens de l’interprétariat et de la médiation en santé

 

Enfin, même si la personne a des droits ouverts et une possibilité de s’inscrire dans un parcours de soins, elle ne peut pas toujours y avoir accès en raison de la barrière de la langue et/ou d’un renoncement aux soins qui nécessite de la médiation.

La mise à disposition d’interprètes médicaux et sociaux formés permet de garantir une égalité de traitement des personnes non francophones devant l’éducation, la santé et l’accès aux soins, les droits sociaux et administratifs. Elle permet d’assurer la fidélité de la traduction, le secret professionnel et le respect de l’autonomie des deux parties.

L’impact bénéfique de l’interprétariat, au-delà du respect de la dignité des personnes à comprendre ce qui leur arrive et ce qui leur est expliqué, a pourtant été prouvé : les personnes s’auto-médicamentent moins,
recourent moins aux soins inutiles et on observe moins de risques d’erreur de diagnostic et de complications de maladie. De plus, lorsqu’ils peuvent communiquer avec leurs patients, les professionnels de santé prescrivent moins d’examens complémentaires et n’allongent pas les durées d’hospitalisation. C’est un investissement sur l’avenir, un enjeu de santé publique. De la même manière, la médiation en santé reste nécessaire et indispensable pour l’accompagnement des personnes dans l’accès aux droits, à la prévention et aux soins.

 

Nos propositions :

  • Renforcer le budget d’interprétariat alloué aux ARS à destination des médecins généralistes, des structures hospitalières, en CMP et structures de soins en santé mentale, ou spécialistes en cabinet
    privé qui sont amenés à rencontrer et soigner des migrants allophones. Accompagner la diffusion de ces outils en sensibilisant les professionnels de santé à l’interprétariat.
  • Sanctuariser les budgets d’interprétariat et de médiation en santé pour les associations qui accueillent et accompagnent des étrangers allophones.
  • Envisager le remboursement par la sécurité sociale des actes d’interprétariat.
  • Former les interprètes, améliorer leurs conditions d’exercice (notamment en leur permettant l’accès à des supervisions de pratiques) et former les professionnels du soin à l’interprétariat physique, par téléphone ou par visio conférence avec la possibilité de formations croisées (ex : Migrations santé Alsace).

 

1 Ce document n’intègre pas de propositions spécifiques sur la santé des mineurs non accompagnés (MNA), d’autres documents collectifs étant déjà rédigés sur le sujet

 

 

Signataires :

Aides, Asamla, la Cimade, Comède, Croix-Rouge française, Fédération des acteurs de la solidarité, Réseau Louis Guilloux, Mana, Médecins du Monde, Médecins sans frontières, Migrations santé Alsace, Centre Minkowska, Osiris, Centre Primo Levi, Uniopss